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POUVOIR ENGENDRANT DEVOIR.

ramené l’obligation morale à cette grande loi de la nature : la vie ne peut se maintenir qu’à condition de se répandre. On nous a objecté que la fécondité de nos diverses puissances intérieures pouvait aussi bien se satisfaire dans la lutte que dans l’accord avec autrui, dans l’écrasement des autres personnalités que dans leur relèvement. Mais, en premier lieu, on oublie que les autres ne se laissent pas écraser si facilement ; la volonté qui chercbe à s’imposer rencontre nécessairement la résistance d’autrui. Même si elle triomphe de cette résistance, elle ne peut en triompher toute seule, il lui faut s’appuyer sur des alliés, reconstituer ainsi un groupe social et s’imposer vis-à-vis de ce groupe ami les servitudes mêmes dont elle a voulu s’affranchir à l’égard des autres hommes, ses alliés naturels. Toute lutte aboutit donc toujours à limiter extérieurement la volonté ; en second lieu, elle l’altère intérieurement. Le violent étouffe toute la partie sympathique et intellectuelle de son être, c’est-à-dire ce qu’il y a en lui de plus complexe et de plus élevé au point de vue de l’évolution. En brutalisant autrui, il s’abrutit plus ou moins lui-même. La violence, qui semblait ainsi une expansion victorieuse de la puissance intérieure, finit donc par en être une restriction ; donner pour but à sa volonté l’abaissement d’autrui, c’est lui donner un but insuffisant et s’appauvrir soi-même. Enfin, par une dernière désorganisation plus profonde, la volonté en vient à se déséquilibrer complètement elle-même par l’emploi de la violence ; lorsqu’elle s’est habituée à ne rencontrer au dehors aucun obstacle, comme il arrive pour les despotes, toute impulsion devient en elle irrésistible ; les penchants les plus contradictoires se succèdent alors, c’est une ataxie complète ; le despote redevient enfant, il est voué aux caprices contradictoires et sa toute-puissance objective finit par amener une réelle impuissance subjective.

S’il en est ainsi, la fécondité intérieure, la fertilité intérieure, doit être le premier but de l’éducation morale, de ce que les allemands appellent la culture. C’est ce qui rend l’éducation si supérieure à l’instruction. L’éducation crée les forces vives, l’instruciion ne peut servir qu’à les diriger.


2o De même que la puissance de l’activité entraîne une sorte d’obligation naturelle ou d’impulsion impérative, de