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DISSOLUTION POSSIBLE DE LA MORALITÉ.

sentons qu’en nous tout se tient : le passé s’attache à nous comme une chaîne. Les blessures morales, comme certaines cicatrices, restent donc à jamais douloureuses, parce que nous changeons toujours sans pouvoir pourtant nous renouveler et nous oublier nous-mêmes, et qu’il se fait un contraste sans cesse croissant entre ce que nous sommes restés et ce que nous concevons.



IV. DISSOLUTION POSSIBLE DE LA MORALITÉ.


Après la genèse de la moralité, il convient de dire quelques mots de sa dissolution possible, dans l’individu et dans la société, ainsi que de ses états en quelque sorte maladifs et de ses arrêts de développement. Il importe à l’éducateur de les connaître et de savoir déterminer, ici encore, la part de l’hérédité et l’influence du milieu interne ou externe.

Comme la vie physique, la vie morale est capable de maladies et de dissolution, et il y a, dans cette dissolution ou dans cet arrêt de la moralité, des degrés divers.


1o Moralité purement négative, produite par la neutralisation mutuelle des tendances altruistes ou égoïstes. esthétiques ou brutales, etc. Cette moralité neutre n’est pas due à une organisation vraiment solide des instincts moraux formulés en un système rationnel d’idées-forces, aussi est-elle nécessairement instable ; c’est l’équilibre transitoire entre des penchants contraires, c’est la moralité de beaucoup de gens, dont les impulsions ne sont assez fortes ni dans un sens ni dans l’autre pour pouvoir les emporter très loin de la ligne normale.


2o Atonie morale, ou règne des caprices. C’est l’exagération de l’état précédent, avec cette différence que les oscillations vers le mal, ou quelquefois vers le bien, ont plus d’amplitude, parce que les penchants sont plus forts. Cet état est propre au tempérament impulsif, lorsqu’il n’est pas orienté vers un centre d’idées-forces suffisament attractif. Le tempérament impulsif produit un grand nombre de criminels qui ne sont pas d’ailleurs les plus dangereux ; il a produit aussi parfois des héros. Chez certains individus, les tendances morales existent, mais