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DISSOLUTION POSSIBLE DE LA MORALITÉ.

contre des actions dont ils ont parfois horreur ; leur sens moral est réduit à l’impuissance pratique, mais non pas altéré.


4o Idiotisme moral, c’est-à-dire absence totale ou partielle des impulsions altruistes, intellectuelles, esthétiques, etc. L’idiotisme moral est impossible à rencontrer à l’état complet, mais nous le trouvons tous les jours à l’état partiel : combien d’enfants et d’hommes qui, sur certains points de la conduite restent invinciblement grossiers ! Chez d’autres, l’altruisme manque entièrement, et cela d’emblée, sans qu’ils aient eu à subir un entraînement préalable comme les criminels de profession. Les tendances morales peuvent faire défaut presque complètement chez un individu ; tel est lexemple cité par Maudsley d’un pasteur empoisonnant sa femme avec la plus complète tranquillité et sans éprouver la moindre protestation intérieure. Dans ces cas extrêmes manquent à la fois et le sentiment actuel de l’obligation morale pendant l’action et le remords moral après l’action.


5o Dépravation morale, produite par des impulsions normales d’une intensité anormale (colère, vengeance, etc.) qui finissent par se grouper ensemble, se coordonner, se raisonner, contrebalancer le sens moral et parfois s’y substituer entièrement. Alors se produit un idiotisme moral qui n’est pas primitif, mais subséquent ; il marque le dernier degré de la dissolution morale, parce qu’il correspond à une évolution de sentiments-forces et d’idées-forces en un sens contraire à la direction normale : c’est l’organisation même de l’immoralité. Dostoiewsky dit en parlant des criminels qu’il a observés en Sibérie : « Pas le moindre signe de honte ou de repentir… Pendant plusieurs années, je n’ai pas remarqué le moindre signe de repentance, pas le plus petit malaise du crime commis… Certainement la vanité, les mauvais exemples, la vantardise ou la fausse honte y étaient pour beaucoup… Enfin, il semble que, durant tant d’années, j’eusse dû saisir quelque indice, fût-ce le plus fugitif, d’un regret, d’une souffrance morale. Je n’ai positivement rien aperçu… » M. Garofalo ajoute : « Leur insensibilité morale est telle que, à la cour d’assises, les assassins qui ont avoué leur crime ne reculent pas devant la description des détails les plus affreux ; leur indifférence est complète pour la honte dont