Pourtant, ici encore, il faut éviter une expansion
exagérée de la vie, une sorte de débauche affective. Il est des
hommes, rares d’ailleurs, qui ont trop vécu pour autrui,
qui n’ont pas assez retenu d’eux : les moralistes anglais
les blâment avec quelque raison. Est-il bien sûr qu’un grand
homme ait toujours le droit de risquer sa vie pour sauver
celle d’un imbécile ? La femme mère qui s’oublie trop
elle-même peut condamner d’avance à une vie maladive et
souffreteuse l’enfant qu’elle porte dans son sein. Le père de
famille qui se soumet lui et les siens à des privations
quotidiennes pour laisser un peu d’aisance aux enfants aboutira
en effet à laisser quelque fortune à des êtres mal venus,
sans valeur pour l’espèce.
3° Fécondité de la volonté. — Nous avons besoin de produire, d’imprimer la forme de notre activité sur le monde. L’action est devenue une sorte de nécessité pour la majorité des hommes. La forme la plus constante et la plus régulière de l’action, c’est le travail, avec l’attention qu’il exige. Le sauvage est incapable d’un vrai travail, d’autant plus incapable qu’il est plus dégradé. Les organismes qui, parmi nous, sont les débris encore vivants de l’homme ancien, — les criminels, — ont en général pour trait distinctif l’horreur du travail. Ils ne s’ennuient pas à ne rien faire. On peut dire que l’ennui est, chez l’homme, un signe de supériorité, de fécondité du vouloir. Le peuple qui a connu le spleen est le plus actif des peuples.
Avec le temps le travail deviendra de plus en plus nécessaire pour l’homme. Or, le travail est le phénomène à la fois économique et moral où se concilient le mieux l’égoïsme et l’altruisme. Travailler, c’est produire, et produire, c’est être à la fois utile à soi et aux autres. Le travail ne