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MORALE DE LA CERTITUDE PRATIQUE.

désintéressée, et c’est tout ce que demande la morale de Kant. Seulement un nouveau problème se pose : à l’intention bonne s’attache-t-il un sentiment d’obligation vraiment supra-sensible et supra-intellectuel, comme le veut Kant ?

Le sentiment d’obligation, si on le considère exclusivement au point de vue de la dynamique mentale, se ramène au sentiment d’une résistance que l’être éprouve toutes les fois qu’il veut prendre telle ou telle direction. Cette résistance, qui est de nature sensible, ne peut provenir de notre rapport à une loi morale qui, par hypothèse, serait tout intelligible et intemporelle ; elle provient de notre rapport aux lois naturelles et empiriques. Le sentiment d’obligation n’est donc pas proprement moral, il est sensible. Kant lui-même est bien obligé de convenir que le sentiment moral est, comme tout autre, pathologique ; seulement il croit que ce sentiment est excité par la seule forme de la loi morale, abstraction faite de sa matière ; de là résulte à ses yeux ce mystère qu’il avoue : une loi intelligible et supra-naturelle, qui produit cependant un sentiment pathologique et naturel, le respect. « Il est absolument impossible de comprendre a priori comment une pure idée, qui ne contient elle-même rien de sensible, produit un sentiment de plaisir ou de peine ;... il nous est absolument impossible, à nous autres hommes, d’expliquer pourquoi et comment l’universalité d’une maxime comme telle, par conséquent la moralité, nous intéresse. » Il y aurait donc bien ici mystère ; la projection de la moralité dans le domaine de la sensibilité sous forme de sentiment moral serait sans pourquoi possible, et Kant affirme cependant qu’elle est évidente a priori. Nous sommes forcés, dit-il, « de nous contenter de pouvoir encore si bien voir a priori que ce sentiment (produit par une pure idée) est inséparablement lié à la représentation de la loi morale en tout être