l’homme de tous les livres ; que de trésors de sympathie il lui faudrait avoir amassés pour vibrer sincèrement à toutes les pensées avec lesquelles il entre en contact ! Cette sympathie court risque d’être bien « générale » et, en voulant s’étendre à tous, de ne s’appliquer à personne : elle ressemble à celle que nous pouvons éprouver pour un membre quelconque de l’humanité, un Persan ou un Chinois. Ce n’est pas assez, et de là vient que le critique est si souvent mauvais juge. C’est, en bien des cas, un de ces « philanthropes » qui n’ont pas d’ami, un de ces « humanitaires » qui n’ont pas de patrie.
D’après un auteur contemporain[1], c’est dans les moments où le génie sommeille que l’artiste perd de son inconscience, et que, par là même, il permet le mieux au critique d’apercevoir ses procédés de facture et de composition. Dans ces moments-là, le maître devient, pour ainsi parler, son propre disciple. On a dit encore[2] que « la critique des beautés est stérile », celle des défauts seule est utile et « nous instruit de la vraie nature du génie ». Selon nous, la formule contraire serait la vraie, mais, entendons-nous bien, MM. Faguet et Brunetière semblent poser en principe que les beautés de l’écrivain sont visibles pour tous, que ses défauts seuls sont cachés ; comme le devoir d’un bon critique est d’apprendre quelque chose à ses lecteurs, il vaut mieux assurément leur montrer des défauts que de ne rien leur montrer du tout. Les critiques modernes ont l’horreur de la banalité, ils ont raison ; mais il n’est banal d’admirer que pour ceux qui ont l’admiration banale. La question reste donc entière. Pour qui serait également capable de faire œuvre personnelle en éclairant une qualité ou un vice lequel vaudrait-il mieux mettre en lumière ? Il peut être utile de découvrir une tare dans un diamant, il est mieux de trouver un diamant dans le sable. Les grandes œuvres d’art sont comme la terre labourable dont parle La Fontaine : « un trésor est caché dedans » ; pour le trouver, il faut tourner, retourner. Le cultivateur qui dit trop de mal de son champ dit du mal de soi ; tel laboureur, telle terre. C’est aussi bien souvent la faute du critique quand il ne fait pas bonne moisson : le critique est jugé par la stérilité de sa propre critique.
Quant à espérer mieux comprendre le génie d’un auteur