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l’art au point de vue sociologique.

théorique qu’une boutade, qui fait dire à M. Zola par la bouche de son romancier typique : « Étudiez l’homme tel qu’il est, non plus le pantin métaphysique, mais l’homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes… N’est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau… La pensée, la pensée, eh ! tonnerre de Dieu ! la pensée est le produit du corps entier… Et nous continuerions à dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ! Qui dit psychologue dit traître à la vérité… Le mécanisme de l’homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions, — la formule est là… » M. Zola semble oublier que la somme totale des fonctions du mécanisme humain se trouve dans la conscience, non ailleurs, et que le romancier, à l’encontre du sculpteur ou du peintre, aura toujours pour objet d’étude essentiel et presque unique l’état de conscience. Dire que les romanciers ont fait jusqu’ici de la métaphysique et qu’ils vont faire à présent de la physiologie, cela n’offre vraiment aucun sens ; autant vaudrait dire qu’ils ont fait jusqu’alors de la trigonométrie et qu’ils vont faire aujourd’hui de la minéralogie ou de la botanique. Non, le romancier a toujours pris pour sujet, sinon le cerveau, du moins le cœur, c’est-à-dire l’ensemble des émotions et des sentiments humains ; le romancier, qu’il le veuille ou non, sera toujours un psychologue ; seulement, il peut faire de la psychologie complète ou incomplète, il peut rapetisser le cœur humain ou le voir de grandeur naturelle. Son domaine propre est l’émotion, mais, dans ce domaine, il peut choisir tel genre d’émotion qui lui convient le mieux, qu’il sent plus sympathiquement et qu’il rend avec plus de force. Chacun a ainsi dans l’art son terrain préféré : « Cultivons notre jardin, » disait Candide ; le jardin de M. Zola est un peu bas et bourbeux, semé de ruelles où on ne se promène pas avec plaisir. Parmi les émotions, M. Zola a un faible marqué pour les moins relevées ; c’est ce qui le rend partial dans son étude de l’homme et incomplet dans son œuvre. M. Zola veut opposer, nous dit-il, le « ventre » au « cerveau », ajoutons : « au cœur » ; il a fait dans plusieurs de ses œuvres une véritable épopée, et cette épopée s’est trouvée être celle du « ventre ». Nous ne sommes pas d’ailleurs de ceux qui le regrettent. Il fallait qu’une telle épopée fût écrite ; mais cette épopée ne doit pas se donner comme égale à la