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le sentiment de la nature et le pittoresque.

Après la Révolution, quand la foi au sens divin des livres sacrés eut été ébranlée, ce fut le moment où l’on put commencer à comprendre et à commenter leur valeur littéraire. L’admiration d’un Chateaubriand devait remonter du fond à la forme, s’attacher aux procédés esthétiques et tâcher de les reproduire. L’influence de la Bible se fait sentir successivement chez l’auteur des Martyrs et chez Lamennais ; elle pénètre jusqu’à l’auteur de Salammbô, et à celui même de la Faute de l’abbé Mouret. La conception du Paradou est un mélange de la Genèse et du Cantique des cantiques, traversé par les élancements mystiques des psaumes et des litanies de la Vierge. Enfin l’influence des psaumes est plus sensible encore chez nos lyriques, depuis Alfred de Vigny et Lamartine jusqu’à Victor Hugo. Entre tous les poètes, l’auteur d’Ibo et de Plein ciel est celui qui se rapproche le plus des vieux poètes hébreux, des Isaïe et des Ézéchiel.

Le sentiment de la nature et l’art de la décrire devaient se modifier sous l’influence de la Bible et du christianisme. La caractéristique de la littérature gréco-latine, c’était de peindre les choses en évoquant en nous les perceptions nettes de l’ouïe et surtout de la vue : les descriptions classiques sont merveilleuses pour le rendu de la ligne et de la forme. Au contraire, la littérature orientale et romantique, au lieu d’insister sur la perception objective, insiste sur l’émotion intérieure qui l’accompagne, et elle cherche à ranimer en nous cette émotion ; au lieu de s’appuyer sur le sens trop intellectuel de la vue, elle emprunte aussi bien ses images à ceux du tact, de l’odorat, du sens interne : elle arrive ainsi à susciter des représentations beaucoup plus précises, quoique moins formelles. C’est que l’écrivain ne nous fait voir les choses qu’indirectement, en suscitant l’émotion interne qui accompagne la vision externe. Pour susciter cette émotion, Hugo et Flaubert sont comparables à Isaïe. Ils obtiennent la réalité de la perception par la force de la sensation.

Le devin Théoclymène, au festin de Pénélope, est frappé

    gnés. » C’est, dit M. Havet, « un chef-d’œuvre où a passé toute l’inspiration du texte ; cela est beau en français sans cesser d’être biblique ». Quant aux évangiles, ils n’ont jamais été mieux commentés au point de vue littéraire que dans cette pensée : « Jésus-Christ a dit les grandes choses si simplement, qu’il semble qu’il ne les a pas pensées ; et si nettement, qu’on voit bien ce qu’il en pensait. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable. » (Pensées de Pascal, p. 17.)