pour arriver aux grands romans de Stendhal. Ce dernier est, comme on l’a mainte fois remarqué, merveilleux dans l’analyse psychologique ; mais sa psychologie porte tout entière sur les idées parfaitement conscientes de ses personnages, non sur les mobiles obscurs du sentiment. D’ailleurs ses héros sont des Italiens, et les Italiens se laissent peu gouverner par le pur sentiment, ils raisonnent toujours et sont froids même dans la colère ; ils ont un proverbe caractéristique : — La vengeance est un plat qui se mange froid. — Stendhal analyse donc, et dans la perfection les motifs conscients des actions, mais il ne fait que de l’analyse, rien que de l’analyse et tout intellectuelle. Il n’arrive pas à la synthèse de l’intelligence et du sentiment, qui rend seule la vie, exprime l’homme complet dans son fond le plus obscur comme dans son être le plus conscient. On ne s’explique même point, dans la Chartreuse de Parme, les deux amours sincères qui gouvernent le récit : celui de la tante pour le neveu et celui du neveu pour Clélia ; il les pose comme un géomètre pose un théorème qu’on lui accorde et auquel tous ses raisonnements vont s’enchaîner. Ces deux amours admis, non expliqués, il va déduisant les actions et leurs mobiles. Stendhal analyse des idées, mais des idées en somme assez simples parce qu’elles sont superficielles. La conception de la vie que se font ses personnages est des plus primitives : superstitions dignes d’un sauvage, diplomaties de coquette, ou préjugés de dévote, scrupules d’étiquette propres à l’homme du monde ; le tout reposant sur des sentiments très nets et définis, précis comme des formules mathématiques, — ambition, amour, jalousie, — le tout se jouant sur le vieux fond humain le plus primitif. Ce sont des ressorts très compliqués, mais qui après tout ne font mouvoir que des pantins. Une clarté, une limpidité parfaite, qui tient souvent à ce qu’on ne va pas jusqu’au fond du sentiment dernier et obscur, ou à ce qu’il n’y a pas de
du livre, là-bas, en Islande, auprès de Yann, Sylvestre mort, c’est dans sa chaumière, auprès de sa vieille grand’mère que s’en vient demeurer Gaud, c’est sous son portrait encadré d’une couronne de perles noires que Yann et Gaud se disent leur amour. Il est en quelque sorte un milieu où se meuvent les deux amants. La forme du roman-ballade convenait a merveille pour peindre la Bretagne et la mer, les Bretons et les brouillards, et, dans une apparence décousue, l’œuvre a une continuité extrême ; si l’on semble sauter d’un personnage à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un lieu à l’autre, c’est que l’auteur et son œuvre le veulent ainsi ; mais, en réalité, rien n’est plus suivi que ces notes et ces petits sauts.