Aller au contenu

Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
138
l’art au point de vue sociologique.

Avant que l’homme eût eu le temps de reprendre la parole, elle ajouta :

— Je ne crois pas. Les autres en ont. Moi, je n’en ai pas.

Et, après un silence, elle reprit :

— Je crois que je n’en ai jamais eu.


Les deux petites Thénardier se sont emparées d’un jeune chat, elles l’ont emmailloté comme une poupée ; l’aînée dit à sa sœur :


Vois-tu, ma sœur, jouons avec. Ce serait ma petite fille. Je serais une dame. Je viendrais te voir et tu la regarderais. Peu à peu tu verrais ses moustaches, et cela t’étonnerait. Et puis tu verrais ses oreilles, et puis tu verrais sa queue, et cela t’étonnerait. Et tu me dirais ! Ah ! mon Dieu ! et je te dirais ! Oui, madame, c’est une petite fille que j’ai comme ça. Les petites filles sont comme ça à présent.


Lisez encore le dialogue de Fantine et de la "vieille fille Marguerite. On a dit à Fantine que sa petite fille en nourrice était malade d’une fièvre miliaire :


— Qu’est-ce que c’est donc que cela, une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

— Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

— Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

— Oh ! des drogues terribles.

— Où cela vous prend-il ?

— C’est une maladie qu’on a comme ça.

— Est-ce qu’on en meurt ?

....................

— Très bien, dit Marguerite.


Voici un fragment tiré du récit du bonhomme Champmathieu que la justice prend pour un ancien forçat :


Avec ça, j’avais ma lille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté ; à nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tomlie des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince derrière soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait… C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures…