l’illusion nouvelle surgissant tout aussitôt, — car, si nos rêves comme les choses nous trompent et passent, le sentiment, qui avait produit notre attente, demeure ; — mais à notre époque, tout assombrie, tout oppressée de pessimisme, on aime à méditer sur le rêve qui s’est trouvé vide de sens. Enfin, Flaubert tend déjà à préférer les analyses « de cas pathologiques », préconisées par les psychologues, et auxquelles se sont complu les de Goncourt. Tous les éléments du naturalisme contemporain sont ainsi réunis. Nous arrivons à l’ère des « histoires naturelles et sociales[1]. »
III. — Le naturalisme se définit lui-même « la science appliquée à la littérature ». Il donne pour raison de cette définition ambitieuse qu’il a le même but et les mêmes méthodes que la science. Le même but : la vérité, rien que la vérité ; — malheureusement il n’ajoute pas : toute la vérité. La même méthode : la méthode expérimentale, qui, outre l’observation, comprend l’expérimentation. Le romancier naturaliste doit être d’abord un observateur : avant d’écrire, il fait comme Taine ; il amasse quantité de notes, de petits faits, documents sur documents. Mais ce n’est pas assez, il
- ↑ Avant d’examiner le roman naturaliste et sociologique, disons quelques mots des mœurs mondaines, qui, pour quelques-uns, sont un sujet préféré. Tandis qu’à notre époque des romanciers ont pris pour objet d’étude la société populaire ou bourgeoise, et que leurs œuvres roulent en partie sur des grossièretés, d’autres ont peint avec amour la société mondaine. C’est sans doute un objet d’étude légitime comme tous les autres. Malheureusement les œuvres de ces romanciers portent trop souvent sur des conventions et sur des niaiseries. La vie mondaine est celle où le cœur et la pensée ont assurément le moins de part. Restent les sens ; mais ils sont tellement appauvris et usés qu’ils ne peuvent qu’être le principe de sensations maladives, de penchants détraqués. Tout cela d’ailleurs, le plus souvent, n’aboutit même pas ; les vrais gens du monde ont à peine la force d’être franchement charnels, et vouloir sans pouvoir est le mot de leur existence. Ces marionnettes ont fort peu d’humain en elles ; aussi la peinture qu’on en peut faire n’est-elle que l’ombre d’ombres. Le roman mondain, c’est le bibelot et l’étiquette envahissant l’art. Rien n’est méprisable pour l’artiste, soit : mais il y a des choses qui sont vaines et futiles ; en tout cas, il ne faut point être dupe de son sujet, et il faut connaître les endroits où il sonne creux. Certaines personnes, n’ayant point de vraie distinction dans la tête ou dans le cœur, la cherchent dans leur mobilier, dans leurs habits, dans la noble tenue de leurs laquais ; les romanciers ne doivent point se laisser prendre à cette comédie, ni croire qu’ils ont peint un monde distingué parce qu’ils ont peint un monde où chacun voudrait l’être et croit l’être, — y compris les concierges. La plupart des traits d’esprit qui se colportent de salon en salon ressemblent à ces mots des enfants, à ces petites niaiseries gracieuses que les mères redisent avec complaisance et que nous ne pouvons écouter sans ennui. Vouloir faire une œuvre de vraie psychologie individuelle et sociale avec la vie des salons, c’est prendre au sérieux non pas même des enfants, — car les enfants sont des êtres réels, sympathiques, des germes d’hommes, — mais des enfantillages, c’est-à-dire rien : de la poussière de mots.