Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

geante, capricieuse même, la vivacité et la grâce, la légèreté joyeuse ? Pour lui


Les lilas au printemps seront toujours en fleurs


Il s’amuse et s’afflige de tout, à propos de tout, et cela sans transition, simultanément le plus souvent :


Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
Au souvenir des maux qu’on pourrait oublier[1].

Une larme a son prix, c’est la sœur du sourire[2].


Et, dernier trait de ressemblance avec l’enfant, il ne sait jamais lui-même s’il va rire ou pleurer, et il pourrait dire de toutes ses pièces ce qu’il dit de deux d’entre elles :


Il se peut que l’on pleure à moins que l’on ne rie.

Dis-moi quels songes d’or nos chants vont-ils bercer ?
D’où vont venir les pleurs que nous allons verser[3] ?

… Dans la pauvre âme humaine,
La meilleure pensée est toujours incertaine.
Mais une larme coule et ne se trompe pas.


Voici du reste comment il définit la poésie :


Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard.
.................
Faire une perle d’une larme.


Il semblerait qu’il ait eu conscience de l’affinité qui existe entre lui et « cet âge » qu’il nous confesse avoir toujours aimé « à la folie ». — « C’est mon opinion de gâter les enfants, » ajoute-t-il bien vite. Et il est en effet le poète charmant et gâté, celui qui trouve place dans toutes les mémoires, même les plus moroses. Nous l’aimons pour ses saillies si spirituelles et si gaies ; nous l’aimons pour sa tristesse, échappée de son rire même. La mobilité du poète traduit à nos yeux la mobihté des choses, ou plutôt leur enchaînement qui les fait sortir sans

  1. La Nuit d’octobre.
  2. Idylle.
  3. La Muse dans la Nuit de mai.