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Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/262

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l’art au point de vue sociologique.

 
Raille et nie ; et passants confus, marcheurs nombreux,
Toute la foule éclate en rires ténébreux
Quand ce vivant, qui n’a d’autre sienne lui-même
Parmi tous ces fronts noirs que d’être le front blême,
Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit :
« Cette blancheur est plus que toute cette nuit [1] ! »


L’optimisme d’Hugo tient en partie à la tendance objective, de son génie, que l’on a mainte fois signalée. Le problème du mal ne se pose pas simplement pour lui à un point de ue personnel. La puissance même de son imagination le projette toujours hors de lui, dans le monde entier, et il en résulte une conséquence qu’on n’a pas assez remarquée : c’est que, par cela même qu’il est plus Imaginatif, plus objectif, il est aussi au fond plus métaphysicien. Son sentiment du mal, au lieu de rester une douleur individuelle, s’élargit, se socialise en quelque sorte, et s’égale même à l’univers, « au prodige nocturne universel », à la nuit sans limites que nous appelons le monde. Par cela même aussi ce sentiment, sans perdre de sa profondeur, a quelque chose de plus intellectuel, de moins nerveux, finalement de plus calme. Ce n’est plus une sorte de fièvre de douleur, un vertige de désespoir ; c’est la vision illimitée d’un horizon noir où notre moi n’est qu’un point, d’un abîme où nous sommes engloutis. La mort, la douleur, le vice, le mal, la bestialité, la matière, la « grande ombre » sans bornes, « l’ombre athée », tout cela ne parle plus aux nerfs, mais à la pensée, qui cherche à pénétrer l’abîme et qui n’en a plus peur. Au pessimisme maladif de la personne blessée succède la sérénité des idées impersonnelles qui embrassent l’infini. Le vertige, ce trouble des nerfs, ne saisit et ne précipite que ceux qui avaient encore les pieds sur la terre : les voyageurs de l’espace, les aéronautes, qui vivent pour ainsi dire au milieu même de l’abîme, n’en ont plus peur ; ils regardent à des profondeurs énormes, et ils les sondent sans que leur œil se trouble.

Hugo avait une puissance d’esprit et de volonté trop forte pour en rester au pessimisme ; il n’avait pas non plus un désintéressement intellectuel assez grand pour rester dans le doute : il eut la foi.

  1. Les Contemplations (Spes), p. 277, 278.