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Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/284

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l’art au point de vue sociologique.

II. — Quand on s’est familiarisé avec les idées philosophiques de Victor Hugo, — ce poète « sans idées », — alors, et alors seulement bien des pièces, dont on ne faisait que sentir vaguement la beauté ou la sublimité, prennent tout leur sens, produisent la plénitude de leur effet esthétique. Rappelez-vous, par exemple, ces vers célèbres, mais si diversement sentis et appréciés : Ibo.


Dites, pourquoi, dans l’insondable
       Au mur d’airain,
Dans l’obscurilé formidable
       Du ciel serein…

Pourquoi, dans ce grand sanctuaire
       Sourd et béni,
Pourquoi, sous l’immense suaire
       De l’infini,

Enfouir vos lois éternelles
       Et vos clartés ?
Vous savez bien que j’ai des ailes,
       Ô vérités !


Dès ces premiers vers le simple critique littéraire, tout en admirant le mouvement de l’ode, murmurera peut-être : « grandes épithètes, images obscures et incohérentes ; » mais le philosophe, lui, retrouve toute une doctrine sous chaque mot : « l’insondable au mur d’airain », c’est l’inconnaissable de la métaphysique, qui ferme et mure pour l’intelligence le mystère du monde ; « l’obscurité formidable du ciel serein », c’est une allusion à la doctrine propre du poète sur le jour et la nuit, le jour étant aussi obscur en soi que la nuit même. Sous les clartés du dehors, ce que le poète veut découvrir, ce sont les clartés de l’intelligence, les vérités, que le monde physique, au moment même où il semble les faire éclater aux yeux, enfouit et dérobe. Ce ciel infini, embrasé de lumière, c’est pour l’esprit la nuit même. Ce tabernacle du firmament, c’est le suaire sous lequel l’âme cherche en vain à découvrir non plus les lois physiques et mathématiques, mais les vraies lois du monde moral, qui semblent ensevelies dans la mort.


Pourquoi vous cachez-vous dans l’ombre
       Qui nous confond ?
Pourquoi fuyez-vous l’homme sombre
       Au vol profond ?