Pour Victor Hugo, ce génie lyrique par essence, à l’inspiration large toujours, sinon toujours mesurée, les choses prenaient vie et âme : il croyait les entendra tour à tour, ou mieux encore toutes ensemble, et il a fait de son œuvre un chœur immense, puissant parfoisjusqu’à assourdir, duquel se dégage, comme une voix d’airain retentissante et prophétique, la voix même de la nature, telle qu’elle a résonné au cœur du poète. Avec Sully-Prudhomme ce n’est plus le lyrique ébloui, tentant d’embrasser tout le dehors en son regard agrandi ; ce sont les yeux mi-clos de la réflexion sur soi, la vision intérieure, mais qui cependant s’élargit peu à peu, « jusqu’aux étoiles » :
Tout m’attire à la fois et d’un attrait pareil,
Le vrai par ses lueurs, l’inconuu par ses voiles ;
Un trait d’or frémissant joint mon cœur au soleil
Et de longs fils soyeux l’unissent aux étoiles [1]).
Sully-Prudhomme nous donne, sans s’en douter, la définition de sa nature propre de poète dans deux de ses plus jolis vers :
On a dans l’âme une tendresse
Où tremblent toutes les douleurs [2].
Larmes et perles tout ensemble, elles sont bien en elïet jaillies du cœur, ses meilleures inspirations, celles qui se sont traduites en des pièces telles que les Yeux.
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nomore ont vu l’aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux ;
Et le soleil se lève encore.
Les nuits, plus douces que les jours.
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours
Et les yeux se sont remplis d’ombre.
Oh ! qu’ils aient perdu le regard.
Non, non, cela n’est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu’on nomme l’invisible ;