qu’elles éveillent une multitude d’idées ou de sentiments qui enveloppent les objets comme d’une auréole. En d’autres termes, les lois de l’association des idées jouent le rôle principal dans la production de l’effet poétique, tandis que les lois de la sensation et de la représentation directe prédominent dans la production du beau proprement dit. On ne peut donc pas juger le style uniquement sur ce qu’il dit et montre, mais encore et surtout sur ce qu’il ne dit pas, fait penser et sentir. Dans les harmonies morales du style, ce n’est pas seulement le son principal et dominant qu’il faut considérer ; ce sont encore et surtout les harmoniques qui ajoutent au son principal leur accompagnement et ainsi lui donnent ce caractère expressif par excellence, mais indéfinissable : le timbre. Il y a des timbres de voix qui charment, et d’autres qui déplaisent, qui irritent même : il en est ainsi dans le style. Quand un écrivain a dit clairement ce qu’il voulait, et s’est fait comprendre du lecteur avec le mininmm d’attention et de dépense intellectuelle, il reste encore à savoir, outre ce qu’il a dit, ce qu’il a fait éprouver ; il reste à apprécier le timbre de son style, qui peut émouvoir et qui peut aussi laisser froid, qui peut même irriter comme certaines espèces de voix ou certaines espèces de rires. La poésie dépend des retentissements de la parole dans l’esprit de l’auditeur, de la multitude et de la profondeur des échos éveillés : dans la nature, les échos qui vont résonnant et mourant sont poétiques par excellence ; il en est de même dans la pensée et dans le cœur.
On a donc eu raison de dire que ce qui fait le charme poétique de la beauté même, c’est ce qui en dépasse la forme finie et éveille plus ou moins vaguement le sentiment de l’infini, par cela même celui de la vie, qui enveloppe toujours pour nous quelque chose d’insondable comme une infinité [1]. Dans une machine, « le nombre des rouages est déterminé, connu de nous ; etleurs relations sont pareillement déterminées, réduites à des théorèmes de mécanique dont la solution est trouvée. Tout y est à jour pour l’entendement ; tout y est décomposé en un nombre fini de parties élémentaires et de rapports entre
- ↑ Alfred Fouillée, Critique des syslùmes de morale contemporains : la morale esthétique, p. 326.