Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
327
le rythme.

membre de phrase un peu long, la division même du sens. Cette ponctuation, semblable à celle qu’on ne peut marquer dans les phrases musicales (même par un quart de soupir), et qu’on indique souvent au moyen d’une virgule en haut, doit être soigneusement observée par l’écrivain, devinée par celui qui lit à haute voix et mise en relief dans la diction.

Un rythme élémentaire et antique, portant sur la pensée même comme sur les mots, c’est le parallélisme de la poésie hébraïque. Ou le retrouve encore parfois dans l’Évangile :


Lorsqu’on ne vous recevra pas, et qu’on n’écoutera pas vos paroles,
 
Sortez de cette maison ou de cette ville, et secouez la poussière de vos pieds…
 


Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups.
 
Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes…
 


Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour.
 
Et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits.
 


Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme.
 
Craignez plutôt celui qui peut faire périr l’unie et le corps dans la géhenne[1].
 


Pendant votre route, prêchez, et dites : Le royaume des cieux est proche.
 
Guérissez les malades, ressuscitez les morts ; purifiez les lépreux, chassez les démons.
 
Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie, dans vos ceintures ; ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni souliers, ni bâton ; car l’ouvrier mérite sa nourriture[2].
 


Ce rythme s’est introduit dans notre prose et il lui donne souvent une énergie particulière. On pourrait relever aussi plus d’une analogie entre le balancement si caractérisé du style hébraïque et le balancement des périodes de prose contemporaine. Flaubert, qui rythmait sa prose comme des vers, aboutit très souvent à des sortes de versets ; de même pour les plus remarquables de nos prosateurs actuels. On trouverait déjà chez Pascal, Bossuet, Rousseau, des effets ana-

  1. Évangile selon saint Mathieu, chap. x, versets 14. 16, 27, 28.
  2. Évangile selon saint Mathieu, chap. x, versets 7, 8, 9, 10.