Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons,
— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection.
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements.
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers.
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !
Il est difficile de nier l’influence déprimante et démoralisante que Baudelaire a exercée sur la littérature de son époque. Mais Baudelaire répond déjà beaucoup mieux à son temps qu’au nôtre ; il n’est plus à proprement parler un modèle : son influence est tout indirecte. Baudelaire s’est trouvé vivre à une époque où l’accoutumance aux idées de négation absolue était loin d’être faite, et sur certains tempéraments ces idées, encore nouvelles, devaient produire des effets tout particuliers. C’est ainsi, pour donner un exemple, que Baudelaire est l’expression de la peur irraisonnée et folle de la mort, — sentiment qui mérite qu’on y insiste. Baudelaire, empruntant à Job son expression fameuse, nous peint ainsi la grande peur qui le hante :
— Hélas ! tout est abîme, — action, désir, rêve.
Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.
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Sur le fond de mes nuits. Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.
J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où :
Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres[1]…
- ↑ Le Gouffre.