À toute heure, à tout propos il a l’esprit rempli de l’idée de la mort : :
Plus encor que la Vie,
La Mort nous tient souvent par des liens subtils[1].
Mon cœur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres[2].
Lui-même intitule Obsession la pièce qui commence par ces vers :
Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l’orgue ; et dans nos cœurs maudits,
Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles.
Répondent les échos de vos De profundis.
Le ciel devient pour lui
Ce mur de caveau qui l’élouffe[3].
En automne, le bruit des bûches qu’on vient de scier et tombant sur le pavé des cours lui fait dire :
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part…
Ce n’est pas tant, à proprement parler, l’angoisse de la mort qu’on retrouve à chaque page que l’horreur toute physique du tombeau ; et lorsque nous le voyons se complaire aux idées de décomposition, évoquer les squelettes et rêver de cadavres, nous sommes tout simplement en présence de l’enfant qui, ayant peur de l’obscurité, ouvre la porte le soir et fait quelques pas au dehors pour ressentir le grand frisson de la nuit et, qui sait ? pour s’enhardir aussi peut-être. C’est donc plus encore le vertige de l’horreur que celui de l’abîme qui s’est emparé de Baudelaire ; par suite, il est amené à chanter l’horreur et l’horrible sous toutes leurs formes. Fait-il un hymne à la beauté, il s’écrie :
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques.
De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant.