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la sanction dans la société avec les dieux.

des idées religieuses, le triomphe graduel du sociomorphisme, puisqu’elle est caractérisée par l’extension à l’univers de rapports sociaux qui vont se perfectionnant sans cesse entre les hommes.


II. — LA SANCTION DANS LA SOCIÉTÉ DES DIEUX
ET DES HOMMES


À la personnification de la loi, la morale religieuse ne pouvait manquer de joindre celle de la sanction, qui joue un rôle si capital dans toute société humaine. Le gouvernement céleste a toujours été une projection du gouvernement humain, avec une pénalité d’abord terrible, puis de plus en plus adoucie. À vrai dire, la théorie de la sanction est une systématisation de celle de la providence ; un être providentiel se reconnaît en ce qu’il frappe ou récompense, en ce qu’on peut s’attirer ou éviter sa colère par telle ou telle conduite. Donc, du moment où l’homme admet une puissance divine agissant sur lui, cette puissance ne tardera pas à lui apparaître comme exerçant un contrôle sur ses actes, comme les sanctionnant. Ce contrôle ne s’exercera d’abord que dans les rapports personnels de l’individu humain avec les dieux ; mais l’individu ne tardera pas à comprendre que, si les dieux s’intéressent à lui, ils peuvent s’intéresser à titre égal aux autres membres de la tribu, pourvu que ceux-ci sachent se les rendre propices ; léser les autres clients des dieux, ce sera donc léser indirectement les dieux mêmes et s’attirer leur colère. Tous les membres de la tribu se trouvent alors protégés les uns vis-à-vis des autres par leur association avec les dieux ; la religion devient un appui pour la justice sociale, et quiconque viole celle-ci s’attend à une intervention divine pour la rétablir à ses dépens. Cette attente devait d’ailleurs se trouver le plus souvent confirmée par les faits, car, si les actes antisociaux et injustes avaient réussi habituellement parmi les hommes, la vie sociale eût été impossible. L’injustice a donc toujours porté en moyenne sa sanction avec elle, et cette sanction devait apparaître comme l’œuvre directe des dieux, jugeant du haut des cieux les débats entre leurs clients, comme faisaient à Rome les patrons assis sous les colonnes de l’atrium.