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la genèse des religions.

religieux ce que le lyrisme est en poésie. » Le prophète et le poète lyrique, en effet, parlent tous deux au nom de leur propre cœur. Le prophète est souvent un révolutionnaire ; le prêtre est essentiellement conservateur ; l’un représente plutôt l’innovation, l’autre la coutume.

Le culte extérieur et le rite, en se liant à des sentiments élevés, ont pris dans toutes les grandes religions un caractère symbolique et expressif qu’ils n’avaient pas dans les pratiques de la sorcellerie primitive ; par là, ils sont devenus esthétiques, et c’est ce qui a rendu le culte durable. Pour qui regarde les cérémonies religieuses les plus vieillies avec un œil d’artiste, elles deviennent la reproduction, aujourd’hui trop machinale et trop inconsciente, d’une œuvre d’art d’autrefois qui avait son sens et sa beauté ; tel un orgue de Barbarie jouant un air admirable d’un maître ancien. Pfleiderer, dans sa Philosophie de la religion, a montré que ce qui domine dans le culte, c’est l’élément dramatique, la « dramatisation » de quelque scène mythologique ou légendaire. C’est surtout chez les Aryens que cet élément prédomine : les Aryens avaient l’amour des grandes épopées et des grands drames. Les Sémites sont plutôt lyriques, et de là vient l’importance du prophétisme chez eux. Toutefois, l’élément lyrique se retrouve aussi chez les poètes grecs et chez les pythonisses. L’élément dramatique, d’autre part, est visible dans certaines cérémonies symboliques du judaïsme ou du christianisme. La messe a été autrefois un véritable « drame de la Passion » où les spectateurs étaient acteurs en même temps ; les processions, demi-païennes et demi-chrétiennes, ont encore aujourd’hui pour la foule l’attrait de décors d’opéra. La communion des fidèles est une dramatisation de la Cène. Le catholicisme surtout offre un caractère dramatique et esthétique trop souvent grossier, qui explique, non moins que les raisons historiques, sa victoire sur le protestantisme chez les nations du midi, plus artistes que celles du nord, mais aussi plus sensuellement artistes. La supériorité esthétique d’une religion n’est pas à dédaigner pour le penseur ; en tout rite c’est, nous le verrons, son caractère esthétique qui reste la chose la plus respectable. Le sentiment religieux a été d’ailleurs toujours uni au sentiment esthétique ; il s’est trouvé être un des facteurs importants de son développement ; c’est ainsi que les drames et les épopées ont d’abord mis en jeu des dieux ou des demi-dieux plutôt que des hommes ; les premiers