Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
dissolution des religions.

langue et de notre esprit ; leur dieu parlant et dictant obtiendrait à peine de nos jours un certificat d’études primaires. C’est là le plus grossier des anthropomorphismes, qui consiste à concevoir la divinité non sur le type de l’homme idéal, mais sur le type de l’homme barbare. Aussi, non seulement la foi littérale, forme primitive de toute foi révélée, finit par apparaître comme entièrement irrationnelle, mais ce caractère va sans cesse s’accentuant, par la raison que la foi fait effort pour rester immobile, tandis que l’humanité marche.

Sans un certain nombre d’hérésies qui naissent et circulent chez eux, sans un courant perpétuel de libre pensée, les peuples attachés à une religion littérale seraient un caput mortuum dans l’histoire, à peu près, dit M. de Hartmann, « comme les fidèles Thibétains du Dalaï-lama. « Les religions littérales ne peuvent de nos jours durer et se perpétuer que par une série de compromis. Dans l’esprit du croyant sincère et intelligent, il y a toujours des périodes d’avancement et de réaction, dea pas en avant suivis de pas en arrière. Les confesseurs connaissent bien toutes ces péripéties, qu’ils ont charno de régler et de maintenir dans certaines limites. Eux-mêmes y sont sujets : combien d’entre eux s’imaginent croire et sont quelque peu suspects d’hérésie ! Si nous pouvions lire au fond des consciences, que d’accommodements nous y remarquerions, que de complaisances secrètes ! Il y a toujours en chacun de nous quelqu’un qui proteste contre la foi littérale, et quand cette protestation n’est pas explicite, elle n’en est souvent que plus réelle : personne ne croit lire plus exactement un texte que celui qui lit entre les lignes ; quand on y admire et vénère tout, c’est généralement qu’on ne le comprend même pas. Beaucoup d’intelligences aiment le vague et s’en accommodent, elles croient en gros et arrangent les détails à leur guise ; quelquefois même, après avoir pris tout en bloc, elles éliminent chaque chose en détail. En somme, on pourrait peut-être diviser en trois classes ceux qui prétendent de nos jours posséder la foi littérale : des indifférents, des aveugles, des protestants qui s’ignorent.

Le protestantisme de Luther et de Calvin, c’est le compromis remplaçant le despotisme, c’est la foi large, quoique toujours dominatrice et orthodoxe. Car il y a encore dans le protestantisme des choses qui ne peuvent pas être l’objet d’un compromis ; il y a encore des dogmes qu’il est