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la foi dogmatique large.

impie de rejeter et qui, pour les libres-penseurs, ne sembleront guère moins contraires à la froide raison que ceux du catholicisme ; il y a un système de thèses métaphysiques ou historiques ayant un caractère divin et non pas seulement humain. Ce qu’il y a de plus désirable dans une religion qui veut être progressive, c’est l’ambiguïté des textes ; or les textes bibliques ne sont pas encore assez ambigus. Comment douter, par exemple, de la mission divine de Jésus-Christ ? Comment douter des miracles ? L’idée d’un Christ et les miracles sont le fondement même de toute religion chrétienne ; ils se sont imposés à Luther et, de nos jours encore, ils pèsent de tout leur poids sur le protestantisme orthodoxe. Dès lors, toute la liberté dont on semblait jouir au premier abord paraît bien peu de chose. On se meut dans un cercle si restreint ! Le protestant est toujours attaché à quelque chose ; la chaîne est seulement plus longue et plus flexible. Le protestantisme a rendu au droit et à la liberté de conscience des services dont on ne saurait trop relever l’importance ; mais, à côté des principes de liberté qu’il renferme, il en contenait d’autres d’où pouvait se déduire logiquement l’emploi de la contrainte charitable. Ces dogmes, essentiels au vrai protestantisme, sont le péché originel, conçu comme plus radical encore que dans le catholicisme et comme destructeur du libre arbitre, la rédemption, par laquelle il a fallu la mort de Dieu le Fils pour racheter l’homme des vindictes de Dieu le Père, la prédestination dans toute sa rigueur, la grâce et l’élection sous leur forme la plus fataliste et la plus mystique, enfin et surtout l’éternité des peines sans purgatoire ! Si tous ces dogmes ne sont que des mythes philosophiques, le nom de chrétien devient alors un titre tout verbal, et on pourrait aussi bien se dire païen, car tous les mythes de Jupiter, de Saturne, de Cérès, de Proserpine et les « divinités de Samothrace » sont susceptibles aussi de devenir des symboles de haute métaphysique : lisez Jamblique ou Schelling. Nous devons donc supposer que le protestant orthodoxe admet un enfer, une rédemption, une grâce. Or, dans ces conditions, toutes les conséquences que nous avons déduites de ces dogmes redeviennent inévitables. Aussi les Luther, les Calvin, les Théodore de Bèze ont-ils prêché et pratiqué l’intolérance par les mêmes raisons que les catholiques. Ils n’ont réclamé le libre examen que pour eux-mêmes et dans la mesure où ils en avaient besoin ; ils ne l’ont jamais élevé