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dissolution des religions.

sont nés chrétiens font effort pour se débarrasser de leurs croyances : ils font songer involontairement à la mouche prise dans une toile d’araignée, qui tire une aile, une patte, et pourtant reste encore paralysée sous ses invisibles liens.

Essayons pourtant d’entrer plus avant dans la pensée de ceux qu’on pourrait appeler les néo-chrétiens, et cherchons quelle part de vérité peut contenir leur doctrine tant critiquée. — Si Jésus n’est qu’un homme, disent-ils, c’est du moins le plus extraordinaire des hommes ; il a du premier coup, par une intuition naturelle et divine tout ensemble, découvert la vérité suprême dont l’humanité devait se nourrir ; il a devancé les temps ; il ne parlait pas seulement pour son peuple ni pour son siècle, ni même pour quelques dizaines de siècles : sa voix va plus loin, elle franchit le cercle restreint de ses auditeurs et des douze apôtres, elle s’élève au-dessus de ce peuple de Judée prosterné devant lui, elle arrive jusqu’à nous, elle retentit à nos oreilles des éternelles vérités, elle nous trouve encore attentifs à l’écouter, à la comprendre, incapables de la remplacer. « En Jésus, écrit le pasteur Bost dans son ouvrage sur le Protestantisme libéral, la rencontre du divin et de l’humain s’est faite dans des proportions qui n’ont pas été vues ailleurs. Son rapport à Dieu est le rapport normal et typique de l’humanité avec son créateur… Jésus demeure à jamais notre modèle. » Le professeur Hermann Schultz, dans une conférence faite à Göttingue il y a quelques années, exprime aussi cette idée que Jésus est bien réellement le Messie, au sens propre que les Juifs attachaient à ce mot : il a fondé le royaume de Dieu, non pas, il est vrai, par des exploits merveilleux comme ceux de Moïse ou d’Élie, mais par un exploit plus grand encore, par le sacrifice de l’amour, le don volontaire de soi. Les apôtres et tous les chrétiens en général ne crurent pas au Christ à cause des miracles ; ils acceptèrent ses miracles grâce à leur foi préalable en lui : cette foi ne trouve son vrai fondement que dans la supériorité morale du Christ, et elle subsiste même si on nie les miracles. Le professeur Schultz conclut, contre Strauss et M. Renan, que « la foi au Christ est entièrement indépendante des résultats de l’examen historique de sa vie. » Toutes les actions de Jésus peuvent être de la légende, il nous reste sa parole et sa pensée, qui rencontrent en nous un écho toujours prêt à s’éveiller. Il est des choses qu’on trouve une fois pour toutes : celui