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dissolution de la foi symbolique.

qui a trouvé l’amour n’a pas fait une découverte illusoire et passagère. N’est-il pas juste que les hommes se groupent autour de lui, se rangent sous son nom ? Lui-même aimait à s’appeler le « Fils de l’homme » : c’est à ce titre que l’humanité doit le vénérer. — « Ce n’est pas une destruction, c’est une reconstruction qui sort de l’exégèse biblique contemporaine », disait aussi en 1883 un des représentants de l’unitarisme anglais, le Révérend A. Armstrong. Nous aimons davantage Jésus en le sentant mieux notre frère, en ne voyant dans les légendes merveilleuses dont on l’environne que le symbole d’un autre amour plus naïf que le nôtre, celui de ses disciples. La croyance par les miracles n’est qu’une forme dernière de la tentation, à laquelle doit échapper l’humanité. Dans le récit symbolique de la tentation au désert, Satan lui parle ainsi : « Dis que ces pierres deviennent du pain ; » n’est-ce pas lui conseiller le miracle, la prestidigitation, dont usèrent si souvent les anciens prophètes pour éblouir l’imagination des peuples. Mais Jésus refuse. Ailleurs il dit au peuple d’une voix indignée : « Si vous ne voyez des prodiges et des miracles, vous ne croyez pas » ; et aux pharisiens : « Hypocrites, vous savez bien discerner les apparences du ciel et de la terre… ; et pourquoi ne connaissez-vous pas aussi de vous-mêmes ce qui est juste ? « C’est de nous-mêmes, disent les néo-chrétiens, c’est par notre propre conscience et par notre propre raison que nous trouvons la justice dans la parole du Christ et que nous la révérons : cette parole n’est pas vraie parce qu’elle est divine, elle est divine parce qu’elle est vraie.

Ainsi compris, le protestantisme libéral est une doctrine qui mérite d’être discutée ; seulement il ne se distingue plus par aucun caractère spécial des nombreuses sectes philosophiques qui, dans le cours de l’histoire, ont voulu se rattacher à l’opinion d’un homme, l’identifier avec la vérité, lui donner enfin une autorité plus qu’humaine. Pythagore fut pour ses disciples ce que Jésus est pour les protestants libéraux. On connaît aussi le respect traditionnel des Épicuriens pour leur maître, l’espèce de culte qu’ils lui rendaient, l’autorité qu’ils accordaient à ses paroles[1], Pythagore avait mis en lumière une grande idée, celle de l’harmonie qui gouverne le monde physique

  1. Voir notre livre sur la Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines, p. 186.