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la religion et la fécondité des races.

Le paysan et le bourgeois français, plus éclairés qu’ils ne le sont, en viendront facilement à comprendre que l’univers ne se borne pas à leur village ou à leur rue, que leurs enfants, une fois munis d’une instruction suffisante, auront des carrières multiples ouvertes devant eux, qu’enfin les colonies sont prêtes à les recevoir. Toutes les fois qu’une sphère d’action illimitée s’ouvre devant une race, celle-ci ne restreint plus le nombre de ses enfants. Pour ceux qui habitent auprès de terres non défrichées ou qui voient s’ouvrir des carrières nombreuses devant leurs enfants, il se produit ce qui a lieu chez les marins, placés au bord des richesses de l’Océan. D’où vient, en France même, la fécondité bien connue des pêcheurs ? On l’a attribuée à la différence de nourriture ; elle vient plus probablement, comme on l’a remarqué, de ce que le produit de la pêche est proportionnel au nombre des pêcheurs, et que la mer est assez large, assez profonde pour tous.


En résumé, le rapport des croyances religieuses avec le maintien du progrès des races est un des plus graves problèmes que soulève l’affaiblissement du christianisme. Si nous avons tenu à insister ainsi sur ce problème, c’est qu’il est à peu près le seul où ni la morale ni la politique n’ont encore sérieusement tenté de suppléer la religion. Devant ces questions la morale a eu peur jusqu’ici, elle n’a pas osé insister ; la politique a eu des négligences impardonnables. La religion seule n’a eu peur de rien et n’a rien négligé. Il faut pourtant changer cet état de choses ; il faut trouver une solution à ce problème vital, qui se posera avec d’autant plus de force que les instincts s’affaibliront dans l’humanité au profit de l’intelligence réfléchie[1]. Faudra-t-il donc en venir un jour à la solution la plus radicale, par laquelle on ferait élever, aux frais de ceux qui n’ont pas du tout ou pas assez d’enfants, les enfants de ceux qui en

    somme que son fils peut épargner et épargne réellement en une année de travail. Libre au père de décupler, de centupler même cette somme ; mais il devrait la prendre pour base de ses calculs, au lieu de s’en rapporter exclusivement et grossièrement soit à des principes assez trompeurs d’égalité, soit à une affection qui peut être elle-même un principe d’inégalité. Nous connaissons un jeune homme qui, à vingt-huit ans, avait gagné par lui-même, après dix ans de travail, une quarantaine de mille francs : ses parents lui constituèrent une dot qui triplait cette somme.

  1. Voir l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, p. 53, et la Morale anglaise contemporaine, 2e partie.