Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
la genèse des religions.

et à laquelle il oppose sa doctrine propre. De même pour les définitions de M. Réville[1]. Démontrer que le « culte des brimborions » n’a pas été l’origine première et unique des religions humaines, cela n’avance à rien, et le problème reste toujours entier. Considérons donc non les mots, mais la théorie même de l’animation de la nature, et voyons, les objections qui lui ont été faites.

D’après M. Spencer comme d’après M. Max Müller, on ne peut comparer le sauvage à l’enfant qui prend sa poupée bien habillée pour un être vivant, qui frappe la porte à laquelle il s’est heurté ; le sauvage n’est pas aussi naïf. L’enfant même est loin d’avoir toutes les naïvetés qu’on lui prête etcngénéral il distingue parfaitement l’animé de l’inanimé ; quand il parle à ses joujoux et les choie comme s’ils étaient vivants, il n’est point dupe de ce qu’il dit : il compose un petit drame où il est acteur, il fait de la poésie ri non de la mythologie. « Si la poupée venait à mordre, il ne serait pas moins stupéfait qu’un adulte[2]. » C’est ainsi qu’un chien joue avec un bâton la comédie de la chasse : il le mord, il le met en pièces, il s’anime à cet amusement, qui n’est cependant pour lui qu’un amusement. Même le fameux exemple des colères enfantines contre les portes ou les chaises, exemple reproduit par tous ceux qui ont écrit sur la religion[3], est fortement mis en doute par M. Spencer : suivant lui, les mères et les bonnes suggèrent

  1. Le fétichisme, dit aussi M. Réville, ne saurait être que postérieur. « Le fétiche est un objet vulgaire, sans aucune valeur en lui-même, mais que le noir garde, vénère, adore, parce qu’il croit qu’il est la demeure d’un esprit. Le choix dudit objet n’est pourtant point absolument arbitraire. Le fétiche a ceci de très particulier qu’il est la propriété de celui qui l’adore. C’est dans ce caractère de propriété, de l’individu, de la famille, de la tribu, que l’on voit clairement apparaître la différence entre l’objet de la religion naturiste et le fétiche proprement dit. Quelque humble qu’il soit, arbre, rocher, ruisseau, le premier est indépendant, est accessible à tous, aux étrangers comme aux indigènes, à la seule condition de se conformera ses exigences en matière de rituel ou de culte. Le soleil luit pour tout le monde, la montagne est à la portée de tous ceux qui en parcourent les flancs, la source ralraichit le passant, quelle que soit sa tribu, l’arbre lui-même qui pousse en plein désert ne demande au voyageur qu’une marque de déférence et ne s’inquiète pas de son origine. On ne peut s’approprier individuellement l’objet naturel. Il en est tout autrement du fétiche. Une fois adopté par une famille, il est en quelque sorte au service de cette famille, et n’a rien à faire avec les autres. » Ce sens donné par M. Réville au fétichisme est tout à fait spécial, et n’atteint en rien le fétichisme primitif conçu comme projection de volontés en toutes choses.
  2. H. Spencer, Principes de sociologie, trad. Cazelles, t. I, p. 188.
  3. V. entre autres M. Vacherot, La religion.