Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
la physique religieuse et le sociomorphisme.

à l’enfant des idées absurdes qu’il n’aurait pas sans cela ; ce sont elles qui, s’il s’est heurté à un objet inanimé, affectent de prendre parti pour l’enfant contre l’objet, et s’efforcent de le distraire de sa souffrance en excitant en lui la colère. Nous assistons, ici encore, à une petite scène de comédie où l’enfant n’a même pas l’initiative. En tout cas, il y a là un phénomène psychologique mal observé et sur lequel on ne peut, jusqu’à nouvel ordre, édifier aucune théorie.

De même, d’après M. Spencer, on ne peut pas tenir compte des erreurs que commet le sauvage quand on lui montre certains produits raffinés des arts et de la civilisation : il croit ces objets vivants, mais comment en pourrait-il être autrement ? S’il se trompe, c’est plutôt la faute de notre art trop parfait pour lui que de son intelligence même. Lorsque les naturels de la Nouvelle-Zélande aperçurent le navire de Cook, ils le prirent pour une « baleine à voile. » Anderson raconte que les Boschimans supposaient qu’une voiture était un être animé et qu’il lui fallait de l’herbe ; la complexité de sa structure, la symétrie de ses parties, ses roues mobiles, ne pouvaient assurément se concilier avec l’expérience qu’ils avaient des choses inanimées. De même, des Esquimaux crurent qu’une boîte à musique et un orgue de Barbarie étaient des êtres vivants, et que la boîte était l’enfant de l’orgue. Toutes ces erreurs sont, jusqu’à un certain point, rationnelles ; mais elles ne pouvaient se produire chez l’homme primitif. Croire que ce dernier fut poussé par une tendance naturelle à assigner la vie à des choses non vivantes, s’imaginer qu’il va se mettre à confondre ce que des animaux d’une intelligence moins vive distinguent parfaitement, c’est « supposer le cours de l’évolution interverti. »

Il est encore, selon M. Spencer, d’autres préjugés sur l’homme primitif dont nous devons nous débarrasser. Nous le croyons volontiers occupé, comme l’enfant moderne, à demander sans cesse le pourquoi de toutes choses, nous l’imaginons toujours en quête pour satisfaire sa curiosité toujours en éveil. Malheureusement, si nous en croyons nos expériences sur les races humaines inférieures, il semble que le sentiment de la curiosité décroît à mesure qu’on descend vers l’état sauvage. Pour éveiller la curiosité, il faut la surprise ; c’est avec raison que Platon voyait dans l’étonnement le principe de la philosophie. Or, ce qui produit l’étonnement,