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THÉORIE EXPÉRIMENTALE ET THÉORIE KANTIENNE

Si on objecte que tout cela est un complexus présent d’images, non une succession dans le temps, nous répondrons qu’en fait nous ne concevons le passé que présentement, par une figuration présente. En outre, l’objection vient, comme nous l’avons montré ailleurs[1], de ce qu’on suppose idéalement : 1o un présent indivisible, 2o une immobilité de la conscience en ce point présent. Or, 1o le présent de notre conscience a une durée, 2o l’immobilité est une conception statique fausse, qui ne répond pas à la réalité dynamique. Un être qui change en passant du plaisir à la douleur peut se sentir en train de changer, alors même qu’il ne conçoit pas encore le temps, ni le rapport des deux termes du changement. Le changer est saisi au moment même où il s’accomplit, dans la transition, sous forme dynamique. Notre mot abstrait changer exprime aujourd’hui une comparaison, et nous porte à croire que l’être a besoin d’une comparaison d’images pour s’apercevoir du changement même. Il en a besoin pour juger qu’il a changé, oui, mais pour avoir le sentiment particulier qui est corrélatif du changement, non.

  1. Voir nos études sur la Mémoire dans la Revue des Deux-Mondes.