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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

les objets, que ce sont nos perceptions mêmes qui se font leurs cadres quand elles sont distribuées régulièrement. Dans une masse absolument homogène rien ne pourrait donner naissance à l’idée de temps : la durée ne commence qu’avec une certaine variété d’effets.

D’autre part une hétérogénéité trop absolue, si elle était possible, exclurait aussi l’idée de temps, qui a parmi ses principaux caractères la continuité, c’est-à-dire l’unité dans la variété. Si notre vie passe à travers des milieux trop divers, si des images trop hétérogènes viennent frapper nos yeux, la mémoire se trouble, met avant ce qui est après, embrouille tout. C’est ce qui se produit aisément dans les voyages, où une foule de sensations sans rapport l’une avec l’autre se succèdent avec rapidité. Pascal observait que les voyages ressemblent aux rêves : si nous voyagions toujours sans jamais nous arrêter et surtout sans avoir organisé nous-mêmes le plan du voyage, nous aurions peine à distinguer la veille du rêve. Il faut une certaine continuité dans les sensations, une certaine logique naturelle ; il faut que l’une sorte de l’autre, qu’elles s’enchaînent toutes ensemble. Memoria non facit saltus. Pour constater le changement, il faut un point fixe.