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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

que la niche est maintenant derrière lui et qu’il ne la voit plus ; voilà le passé.

En somme, la succession est un abstrait de l’effort moteur exercé dans l’espace ; effort qui, devenu conscient, l’intention.

Dans la conscience adulte, l’idée d’intention, de fin, de but, reste l’élément essentiel pour classer les souvenirs. Si nous avions simplement conscience de chaque action en particulier, sans grouper ces diverses actions autour de plusieurs fins distinctes, combien la mémoire nous serait difficile ! Au contraire, l’idée de fin étant donnée, nos diverses actions deviennent une série de moyens, se rangent, s’organisent par rapport à la fin poursuivie, de façon à satisfaire un Aristote ou un Leibnitz. Si je veux aller en Amérique, il s’ensuit que je veux d’abord passer la mer, et pour cela que je veux m’embarquer au Havre ou à Bordeaux. Toutes ces volontés s’enchaînent l’une à l’autre dans un ordre logique, et tous les souvenirs auxquels elles donneront naissance se trouveront du même coup enchaînés. Il y a dans la vie une certaine logique, et c’est cette logique qui permet le souvenir. Là où règnent l’illogique et l’imprévu, la mémoire perd beaucoup de prise. La vie absolument sans logique ressemblerait à ces mauvais drames où les divers