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FOND ACTIF DE LA NOTION DE TEMPS

est produite par une accumulation de sensations, d’efforts musculaires, de désirs péniblement rangés. Les mêmes sensations répétées, les efforts répétés dans le même sens, dans la même intention, forment une série dont les premiers termes sont moins distincts et les derniers davantage ; ainsi s’établit une perspective intérieure qui va en avant, vers l’avenir.

Le passé n’est que cette perspective retournée : c’est de l’actif devenu passif, c’est un résidu au lieu d’être une anticipation et une conquête. A mesure que nous dépensons notre vie, il se produit au fond de nous-mêmes, comme dans ces bassins d’où l’on fait évaporer l’eau de la mer, une sorte de dépôt par couches régulières de tout ce que tenait en suspens notre pensée et notre sensibilité. Cette cristallisation intérieure est le passé. Si l’onde est trop agitée, le dépôt se fait irrégulièrement par masses confuses ; si elle est suffisamment calme, il prend des formes régulières.

Le temps passé est un fragment de l’espace transporté en nous ; il se figure par l’espace. Il est impossible de modifier la disposition des parties de l’espace : on ne peut mettre ù droite ce qui est à gauche, devant ce qui est