derrière ; or, toutes les images que le souvenir nous donne, s’attachant à quelque sensation dans l’espace, s’immobilisent ainsi, forment une série dont nous ne pouvons substituer l’un à l’autre les divers termes.
Aussi toute image fournie par le souvenir ne peut-elle être bien localisée, placée dans le passé, qu’à condition de pouvoir se localiser dans tel ou tel point de l’espace, ou encore d’être associée à quelque autre image qui s’y localise[1]. Sans l’association à de petites circonstances, tout souvenir nous apparaîtrait comme une création. Est-ce moi qui ai imaginé et écrit quelque part : « La feuillée chante, » expression pittoresque que je trouve en ce moment dans ma mémoire ? À cette interrogation, une foule de souvenirs surgissent : des mots latins s’associent aux mots français ; à ces mots s’associe un nom, celui de Lucrèce. Enfin, si j’ai bonne mémoire, j’irai jusqu’à revoir le vieux petit volume déchiré sur lequel j’ai lu autrefois l’expression de Lucrèce : frons canit.
En somme, c’est le jeu des sentiments, des plaisirs et des douleurs qui a organisé la mémoire en représentation présente du passé, et
- ↑ Nous reviendrons plus loin sur le mécanisme de sa localisation.