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AVANT-PROPOS

auteur une série de questions toujours les mêmes sur la manière dont il conçoit la matière, l’esprit, Dieu, etc., ensuite ils cherchent dans l’auteur lui-même une réponse à chacune de ces questions. Ils obtiennent ainsi un résumé exact, une vraie table des matières pour la pensée de chaque philosophe, puis plus généralement pour la pensée humaine. Cette table peut être fort utile ; malgré cela, on n’arrive ainsi à posséder que l’abstraction de chaque doctrine, non la doctrine vivante, telle que l’auteur lui-même l’a conçue. C’est, si je puis m’exprimer ainsi, une sorte de projection des divers systèmes ou tout est sur le même plan, sans saillie et sans relief, sans élévation et sans profondeur.

Outre cette méthode qui procède extérieurement, il en existe, croyons-nous, une autre que plus d’un historien a déjà su employer, mais qui n’a pas été jusqu’à présent assez nettement formulée. Cette méthode s’efforcerait non pas de donner, comme nous disions tout-à-l’heure, la projection géométrique de chaque système, mais d’en reproduire le développement même et révolution, de marquer tous les degrés de cette évolution, d’accompagner en toutes ses démarches la pensée de l’auteur ; car la pensée humaine est mouvante et vivante, et il n’y a pas, comme on dit, de système arrêté ; au contraire chaque système, chez un même auteur, change et se transforme perpétuellement, va des principes aux conséquences, des conséquences revient aux principes, par un perpétuel mouvement d’expansion et de concentration qui rappelle le mouvement même de la vie. Le but idéal de notre méthode serait ainsi de remplacer les divisions et les subdivisions artificielles par des évolutions naturelles.

Pour cela, la première chose à faire, c’est de chercher et de saisir l’idée maîtresse de la doctrine qu’on veut exposer. Cette idée ou ces idées (car il y en a parfois plusieurs, rentrant plus ou moins l’une dans l’autre) donnent vraiment au système son caractère personnel, son unité et sa vie : elles sont le point central ou tout vient se rattacher et où il faut pénétrer tout d’abord. On ne devra donc pas laisser l’idée maîtresse sur le même plan que les autres, la confondre avec toutes les idées secondaires qui en dérivent et qu’elle précède dans l’ordre de la pensée comme elle les a probablement précédées dans l’ordre du temps. Il faut la mettre en