Page:Guyau - La Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
HOBBES

liens effectifs, la force de la raison ne suffit plus : il faut qu’elles s’appuient sur la crainte et sur une force physique quelconque ; il faut, en d’autres termes, que la menace de la sanction accompagne et précède le conseil de la loi.

Le premier moyen de mettre la force du côté de la loi, c’est le nombre : plus il y aura de contractants fidèles, plus il y aura de risques à courir pour ceux qui rompraient le contrat. Chacun, apercevant ainsi derrière la force de chacun la force de tous, se sentira tenu en respect : Satius sibi esse uterque putet manus cohibere quam conserere[1]. Mais le moraliste ne se laissera point tromper par ce serrement de mains hypocrite, il verra dans le nombre et l’accord des contractants (multorum concordia) la seule cause de la paix.

Pourtant l’accord ne suffit pas à constituer une paix durable. L’accord de tous, en effet, dépend de la volonté de chacun, et la volonté que Hobbes place dans l’homme, c’est-à-dire la prédominance du désir le plus intense, ou du mouvement le plus intense, est essentiellement variable ; il faut donc quelque chose de plus constant, et pour cela de plus nécessaire, conséquemment encore de plus fort. Il faut que toutes les volontés, non-seulement s’accordent entre elles sur certains points, posent certaines règles générales, mais encore qu’elles donnent un corps à ces règles, qu’elles les fassent vivantes et puissantes, qu’elles préposent à leur garde une force physique, une personne. Dans l’accord unanime, les volontés diverses peuvent être considérées comme une seule volonté : mais cette unité est une abstraction que le moindre changement chez les divers vouloirs qui la constituent suffit à faire disparaître ; au contraire, si on réalise cette abstraction dans une personne, si on lui donne un représentant et un protecteur, elle subsistera quoi qu’il arrive, prête à faire rentrer dans l’ordre et à ramener vers sa vivante unité quiconque voudrait s’y soustraire. Cette personnification de la volonté de tous soit dans un homme, soit dans une assemblée, c’est ce que Hobbes appelle l’union et qu’il distingue soigneusement de l’accord[2].

Ici est le point délicat de la doctrine de Hobbes : jus-

  1. De cive, Imp. V, 3.
  2. De cive, Imp. V, 6, 7.