Page:Guyau - La Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
LA ROCHEFOUCAULD

grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes. » « La vanité, la honte et surtout le tempérament font souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes. » Du courage militaire, passons au courage purement moral, à la force d’âme : encore et toujours l’intérêt. « La magnanimité est le bon sens de l’orgueil... ; elle méprise tout pour avoir tout ; ...elle rend l’homme maître de lui-même pour le rendre maître de toutes choses. » « La générosité n’est qu’une ambition déguisée... un industrieux emploi du désintéressement pour aller plutôt à un plus grand intérêt. » « La philosophie triomphe des maux passés et des maux à venir; mais les maux présents triomphent d’elle. » « Nous croyons souvent avoir de la constance dans les malheurs, lorsque nous n’avons que de l’abattement; et nous les souffrons sans oser les regarder, comme les poltrons se laissent tuer de peur de se défendre[1]. »

Si l’intérêt est la seule fin, le seul bien est le bien sensible, la mort, terme de tous biens sensibles, sera donc le plus grand des maux pour La Rochefoucauld comme pour Hobbes, qui diffèrent en cela d’Epicure. Devant la mort expirera le courage le plus assuré. Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. » « Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris qui n’est en effet que la crainte de l’envisager ; cette constance et ce mépris ne sont à leur esprit que ce que le bandeau est à leurs yeux. » « Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s’empêcher de considérer la mort ; mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est, trouve que c’est une chose épouvantable[2]. »

La tempérance comme le courage, et à plus forte raison, est de l’intérêt transformé. « La sobriété est l’amour de la santé, ou l’impuissance de manger beaucoup. » « On voudrait bien manger davantage, mais on craint de se faire du mal. » Après la tempérance proprement dite vient la modération de l’âme, le mépris des richesses, des honneurs. « La modération est la langueur et la paresse de l’âme, com-

  1. Max. 24, 225, 218, 220.
  2. Max. 26, 21, 528.