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D’HOLBACH

L’épicurisme en France devait d’ailleurs s’élever sans peine à la conception de la liberté et de l’égalité politiques : l’intérêt semble ici s’accorder assez bien avec ce qu’on entend d’habitude par le droit. Mais la doctrine utilitaire parvint plus haut encore : tantôt par une inconsciente contradiction, tantôt en faisant appel aux sentiments de sympathie, de bienveillance, de philanthropie, de sociabilité naturelle, elle a pu, sinon embrasser complètement le grand et pur sentiment de la fraternité universelle, du moins s’en approcher d’assez près. Aussi les utilitaires se joignirent-ils aux moralistes a priori pour approuver et admirer la devise de la Révolution française : liberté, égalité, fraternité. Helvétius lui-même eût donné sans doute son assentiment à cette devise ; seulement, comme il n’accordait pas une aussi grande importance que ses successeurs aux sentiments sympathiques, il eût sans doute fait observer qu’on ne

    les gouvernés entre eux, mais qui lie les gouvernants aux gouvernés : « Il n’y a de souverain légitime que de l’aveu de sa nation. » (Syst. soc., II, p. 11). L’origine du gouvernement est donc la volonté du peuple ; maintenant, quelle sera sa forme ? Pour résoudre cette question, il faut se demander quel est son but. Le but du gouvernement, nous le savons, c’est le bonheur ; or, la condition immédiate du bonheur, c’est la liberté, qui n’est que le pouvoir de mettre en œuvre les moyens nécessaires à ce bonheur ; la forme la meilleure du gouvernement sera donc celle qui le rapprochera le plus de son but, et qui par conséquent donnera à la société gouvernée la plus grande somme possible de liberté (Syst. soc., II, 35). Plus on est libre, plus on peut ; plus on peut, plus on a de moyens de bonheur ; plus on a de ces moyens, plus on s’en sert et plus on est heureux. Quelle sera donc la forme de gouvernement qui donnera le plus de liberté à tous ? C’est le gouvernement par représentants (Syst. soc., II, 50). « Un gouvernement, quel qu’il soit, est fait pour la nation, non la nation pour le gouvernement ; et une nation est en droit de révoquer, d’annuler, d’étendre, de restreindre, d’expliquer les pouvoirs qu’elle a donnés. » (Syst. soc., Il, 55.)

    Puisque le gouvernement doit garantir à tous la liberté, il doit aussi garantir l’égalité civile : car toute supériorité des uns crée l’infériorité des autres, et toute infériorité est un manque de liberté. L’égalité civile est ainsi la condition de la liberté ; or, nous venons de voir que la liberté est la condition du bonheur : le gouvernement doit donc garantir également à tous les gouvernés la libre possession d’eux-mêmes et de leurs biens, c’est-à-dire de tous les moyens du bonheur. — D’Holbach, à vrai dire, n’est pas arrivé à cette conclusion ; mais Dalembert y arrive aisément dans ses Éléments de philosophie.