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CONCLUSION

ainsi, quand il s’agissait d’approfondir la nature même du plaisir qu’il donnait pour fin à la vie, Épicure définissait ce plaisir un état de repos du corps et de l’âme, un état d’équilibre physique et d’« ataraxie » intellectuelle. Étant donnée une telle conception du plaisir, Épicure en déduit bientôt que l’idéal pour tout être est de se replier sur soi, de chercher au dedans de soi et sans aucun secours extérieur le repos et la paix. Cette doctrine, qui au premier abord ne manque pas de grandeur, aboutit dans la pratique aux conséquences les plus déplorables. Sur ce point, Hobbes apporte un heureux changement au système épicurien, en revenant aux idées d’Aristippe et en soutenant que le plaisir est par essence mouvement, action, énergie, conséquemment progrès. Jouir, c’est agir, et agir, c’est avancer. Sans doute on peut soutenir avec Épicure que le plaisir s’accompagne d’un équilibre intérieur, d’une harmonie de toutes nos facultés ; mais ce n’est là, en somme, que la condition du plaisir, et si on l’examine plus profondément en lui-même, on reconnaîtra que cet équilibre intérieur nous permet précisément une action de plus en plus expansive dans toutes les directions. De nos jours, l’école anglaise fera plus encore : elle montrera que la sensibilité accompagne dans son développement progressif notre activité. Le plaisir n’est pas une chose immobile, comme le croyait Épicure, il varie sans cesse ; l’habitude et l’hérédité l’attachent à de nouvelles actions ; il subit ainsi la grande loi de révolution universelle : il est en lui-même évolution et développement de l’être.

Dans le problème de la liberté, nous trouvons les Épicuriens anciens et modernes en plein désaccord les uns avec les autres. Nous savons qu’Épicure admet le libre arbitre et place non-seulement dans l’homme, mais dans la nature et les atomes, une spontanéité tirant d’elle-même le principe de son action ; au contraire, Hobbes, Helvetius, d’Holbach, en un mot tous les Épicuriens modernes sans exception rejettent la liberté et se montrent franchement déterministes, quelquefois même, comme Hobbes et La Mettrie, fatalistes à l’excès. Nous n’avons pas ici à examiner la vérité absolue de ces doctrines contraires ; mais nous pouvons nous demander laquelle est la plus conforme aux principes épicuriens. Or, il faut bien reconnaître que la croyance à la liberté est une anomalie dans le système