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LA SCIENCE OPPOSÉE AU MIRACLE

tage immédiat et évident, mais en tant qu’elles donnent au sage l’ataraxie et une solide assurance (ἀταραξίαν καὶ βέβαιον πίστιν)[1]. Sans doute elles ne valent toujours, en définitive, que par le bonheur qu’elles procurent, et Epicure les subordonne avec insistance à une fin supérieure, à l’utilité ; mais la sphère de l’utilité même s’élargit sans cesse, et on peut, sans en sortir, marcher en avant de plus en plus.

De la physique ou physiologie on pourra même passer à la logique ou canonique ; car pour distinguer le vrai du faux, le réel de l’illusoire dans les phénomènes de la nature, encore faut-il posséder le critérium du vrai et du faux ; or, ce critérium, la logique seule nous le fournit et par là confirme à la fois la physique et la morale[2].

La logique d’Epicure, originale à plus d’un égard, mériterait, comme l’a dit Lange[3], une étude spéciale, que nous ne pouvons lui consacrer ici. Remarquons seulement combien elle se lie étroitement à la morale. Epicure y devance les positivistes contemporains en rejetant toute connaissance plus ou moins intuitive de la vérité, et en faisant du vrai une chose essentiellement sensible et subjective. Suivant lui, le vrai ne réside pas autre part que le bien ; nous avons trouvé le principe du bien dans la sensation, c’est là aussi qu’on trouve la règle du vrai[4]. La sensation est vraie et irréfutable ;

  1. Diog. L. X, 85.
  2. La logique était pour Épicure le complément nécessaire de la physique, elle en faisait partie intégrante : εἰώθασι τὸ κανονικὸν ὁμοῦ τῷ φυσικῷ συντάττειν, dit Diogène, x, 30. Voir aussi De fin., I, xix. – La logique n’avait ainsi pour but que de fonder la possibilité de la science. Epicure en rejetait énergiquement toute subtilité vaine, toute scholastique. Il était sur ce point en opposition avec les Stoïciens, amis de toutes les subtilités du raisonnement, et avec les Cyrénaïques mêmes, qui faisaient grand cas de la logique et blâmaient comme vaines les recherches des Épicuriens sur les sciences physiques. (Voir Diog. L., II.)
  3. Gesch. der materialismus (trad. en français par Pommerol), p. 85.
  4. Κριτήρια τῆς ἀληθείας εἶναι τὰς αἰσθήσεις καὶ προλήψεις καὶ πάθη. Diog. L., x, 31. — Le terme de πάθη désigne les sensations en tant qu’elles nous affectent agréablement ou douloureusement. Quant à la προλήψεις ou anticipation, ce n’est autre chose que le souvenir de plusieurs sensations semblables (Diog. Laërt., x, 33), l’empreinte commune (τύπος) laissée par elles dans l’âme, et qui est comme l'image fidèle des sensations à venir. Par la προλήψεις notre activité