Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/30

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c'est assurément aller un peu loin ; mais refuser, avec M. Grant Allen, tout caractère esthétique à la disposition des parties en vue d'une fin « confortable, » c'est se rejeter dans un excès contraire. M. Grant Allen, sans peut-être le savoir, tombe dans l'erreur de Kant : ce dernier, à force de séparer le beau de l'utile, finissait par l'opposer entièrement au rationnel ; il en venait à dire qu'une arabesque capricieuse est vraiment plus belle qu'une jolie femme, parce que nous concevons et imposons à tout visage humain un type de beauté trop nécessaire et trop raisonné. L'architecture, un art que M. Grant Allen oublie trop dans son Esthétique physiologique, fut à l'origine tout utilitaire[1]. Même maintenant, pour qu'un édifice nous plaise, il faut qu'il nous paraisse accommodé à son but, qu'il justifie pour notre esprit l'arrangement de ses parties ; une maison ornementée avec beaucoup d'élégance, mais où rien ne semblerait fait pour la commodité de l'habitation, où les fenêtres seraient petites, les portes étroites, les escaliers trop raides, nous choquerait comme un non-sens esthétique. Au contraire, toute organisation de parties,

  1. M. Grant Allen a fait, depuis, une pari plus juste à l'architecture dans une intéressante étude sur l’Évolution esthétique chez l'homme (Mind., oct. 1880). Selon lui, l'évolution du sentiment esthétique a parcouru trois stages successifs ; ce sentiment s'est manifesté d'ahord par l'amour de la parure, ensuite par l'ornementation des armes et des ustensiles domestiques, plus tard par la construction et l'ornementation des huttes ou des maisons. Dans les maisons, on a orné d'abord l'intérieur, puis, dans l'intérieur, l'endroit où pouvait pénétrer un étranger ; c'est l'origine de nos salons de réception. Plus tard, l'architecture (qui est comme le troisième art humain) s'est développée dans la construction des palais des chefs et des dieux.