Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/60

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l’homme a-t-il fait en général de la force physique le symbole expressif de la volonté puissante ; à tort ou à raison, nous nous sommes accoutumés à établir partout une harmonie entre le physique et le moral ; nous nous figurerions difficilement Brutus ou Caton sous des traits mignards ; la sculpture représente Moïse avec une haute taille et des muscles en saillie. Les Samson et les Hercule sont tout ensemble des types de force, de courage et de bonté. La force, adorée par l’humanité primitive, a été, non sans quelque raison, considérée comme la première vertu, source de beaucoup d’autres ; elle implique d’ailleurs quelque chose de surhumain, et à ce titre encore appelle le respect. Elle a acquis ainsi une valeur expressive, qui entre aujourd’hui comme élément essentiel dans sa beauté.

L’ordre ou le rythme, seconde qualité du mouvement, est plus expressif encore ; par lui le mouvement, devenu régulier, offre prise à l’intelligence et semble lui-même la manifester. Le rythme n’est pas seulement, comme on l’a montré, la conséquence de la continuité du mouvement et de la persistance des forces, il est encore le signe de la persévérance du vouloir, et son harmonie symbolise à nos yeux l’accord de la volonté avec soi.

Quant à la grâce, elle est bien autre chose que la simple économie de la force, seule définition que M. Spencer en ait donnée ; elle exprime essentiellement, elle aussi, un état de volonté. Remarquons-le en effet, chez les êtres vivants les mouvements gracieux sont toujours plus ou moins associés à la joie et à la bienveillance, deux sentiments voisins l’un de l’autre. La joie est la conscience