Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/61

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d’une vie pleine et en harmonie avec son milieu ; or, quand il y a harmonie, il y a par cela même tendance à la sympathie. La grâce est l’expression visible de ces deux états : la volonté satisfaite et la volonté portée à satisfaire autrui. La grâce, en effet, suppose une certaine détente des muscles, qui ne se produit guère chez l’animal qu’à l’état de repos, de vie expansive et d’intention pacifique. Que la douleur et la lutte surviennent, que l’hostilité et la colère éclatent, aussitôt les membres se raidissent. Tandis qu’un chien joue, faites un peu de bruit dans un buisson, et vous verrez la transformation soudaine de l’attitude : le cou se tendra, les oreilles, la queue, le corps tout entier sera en arrêt. Au contraire, la bienveillance se traduit d’habitude par des mouvements onduleux et légers, sans rien de brusque, sans angles, sans violence ; de tels mouvements, par la disposition sympathique dont ils sont le signe, tendent toujours à exciter chez nous une sympathie réciproque. Une attitude légèrement courbée, surtout la flexion du cou, te laisser-aller des bras, indique de plus la mélancolie et la tristesse, qui semble faire appel à la pitié d’autrui ; elle excitera donc un sentiment voisin de la pitié qui se retrouve jusque dans notre faible pour le saule pleureur. Enfin la grâce est toujours de l’abandon ; or on ne s’abandonne pleinement que quand on aime ; nous pouvons donc dire avec Schelling que la grâce est avant tout l’expression de l’amour, et c’est pour cela qu’elle l’excite ; la grâce semble aimer et c’est pour cela qu’on l’aime. Avant d’avoir ressenti quelque chose de l’amour, la jeune fille n’a point encore la suprême grâce, plus belle encore que la