Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/64

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par exemple celle qui accomplit un acte de patriotisme, n’est pas seulement belle, mais bonne en la mesure même où elle est belle ; la fin, d’autre part, c’est-à-dire la patrie sauvée, n’est pas seulement bonne, mais belle en la mesure même où elle est bonne. Dans nos jugements esthétiques sur une action donnée nous ne faisons pas plus abstraction de la fin poursuivie que dans nos jugements moraux : par exemple, l’action de se jeter à l’eau et même de s’y noyer n’a rien de beau en elle-même, elle n’acquiert, de valeur esthétique que dans la proportion où elle acquiert une valeur morale, lorsqu’elle se justifie par un but de dévouement. L’identité du bon et du beau n’est pas moins évidente pour les sentiments que pour les actions : la sympathie, la pitié, l’indignation, sont tout ensemble belles et bonnes. Aussi l’émotion artistique peut-elle être considérée souvent comme une simple forme dérivée de l’émotion morale. L’art, qui a pour condition essentielle la part sympathique que nous prenons aux peines ou aux plaisirs d’autrui, est une création sociale. En moyenne, un être est d’autant plus moral qu’il est plus capable de ressentir profondément une émotion esthétique.

— Mais, nous objectera M. Spencer, il est des sentiments auxquels l’art a toujours fait appel, la colère, la haine, la vengeance, etc., qui sont cependant immoraux ; donc, en admettant que tout ce qui est bon soit beau, tout ce qui est beau n’est pas bon. — Je réponds que, si vous prenez les termes de la comparaison sous les mêmes rapports et au même degré, les sentiments vous paraîtront bons par le côté et dans la mesure où ils vous paraîtront esthétiques. L’amour