Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/63

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En général, tandis que la force représente dans l’expression de la vie le côté viril, la grâce représente plutôt le côté féminin. Si donc la beauté suprême dans les mouvements est celle qui traduit la vie la plus riche, on peut dire qu’elle consisterait à allier la force et la grâce, en leur faisant exprimer tout ensemble la volonté la plus énergique et la plus douce. Cette volonté, remarquons-le, n’est pas seulement celle qui se joue à la surface des choses, mais celle qui, prenant au sérieux et les autres êtres et elle-même, met toute sa puissance au service de toute sa tendresse.

Si les mouvements empruntent la plus grande partie de leur beauté aux sentiments, en quoi consistera la beauté des sentiments eux-mêmes ? — Elle sera faite, elle aussi, de force, d’harmonie et de grâce, c’est-à-dire qu’elle révélera une volonté en harmonie avec son milieu et avec les autres volontés. Or ce sont là des caractères qui conviennent au bien en même temps qu’au beau, et nous sommes amenés à nous demander si, dans la sphère des sentiments, il y a une réelle différence entre ces deux termes. M. Spencer, lui, les sépare avec le même soin que Kant : c’est que l’identité du beau et du bien serait la ruine de sa théorie. Il est clair, en effet, que le bien ne peut être un « jeu » et que c’est au contraire la chose sérieuse par excellence ; si donc le beau est dans le jeu, il devra se séparer du bien : de là les efforts de M. Spencer pour distinguer les deux idées. — Dans le bon, dit-il, c’est la fin à réaliser que nous considérons ; dans le beau, c’est l’activité même qui la réalise. — Il nous semble au contraire que l’activité, la volonté,