Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/67

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des raisons que nous avons indiquées, est toujours en retard sur l’évolution morale : elle la suit pourtant. Aussi peut-on affirmer que les œuvres d’art qui font trop exclusivement appel à des sentiments égoïstes et violents sont inférieures et sans avenir. Que restera-t-il un jour de l’Iliade même ? La prière d’un vieillard, le sourire d’adieu d’une femme à son mari, c’est-à-dire la peinture de deux sentiments élevés. Pour être dans l’éternel, il n’est pas bon de se placer dans l’immoralité. Un art qui évoque en nous des sentiments trop grossiers et trop primitifs, nous rabaisse, pourrait-on dire, dans l’évolution des êtres en nous faisant vivre et sympathiser avec des types destinés à disparaître, qui sont comme les survivants des âges primitifs. Au contraire, le sentiment de l’admiration nous élève et nous donne un plaisir esthétique d’autant plus complet qu’il est plus étranger au plaisir du jeu, plus sincère. L’admiration, en effet, ne saurait être un jeu, elle n’a rien de fictif. Qu’elle soit suscitée par la légende ou par l’histoire, par une vision réelle ou imaginaire, il n’importe : elle correspond toujours à un jugement moral, chose sérieuse par excellence. Bien plus, elle marque en nous une sorte d’amélioration morale : nous sommes vraiment meilleurs quand nous admirons ; nous nous sentons soulevés au-dessus de nous-mêmes, et capables peut-être d’actions devant lesquelles nous reculerions en" temps ordinaire : l’âme se porte à la hauteur de ce qu’elle admire. À ce point, l’art touche à la réalité, est la réalité même : dans le sentiment de l’admiration coïncident pleinement le réel et le fictif, l’être et le paraître ; je voudrais devenir ce que je contemple, et je le