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Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/19

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III

La chaleur était de plus en plus accablante, une poussière brûlante me desséchait la gorge, et pourtant soutenu par mon enthousiasme guerrier, je marchais vite, murmurant le chant glorieux, qui avait jadis conduit nos soldats contre l’Europe coalisée.

Cela me donnait de l’espérance et me faisait trouver le chemin moins triste et plus court.

À chaque instant, passaient des trains formés de wagons prussiens, remplis de soldats. Parfois aussi ils emmenaient, en Allemagne, des prisonniers et je songeais aux grandes batailles dont le bruit vague était parvenu à Nancy… On parlait de Bazaine, de Prussiens jetés dans de profondes carrières[1].

On se disait tout bas que nous étions vainqueurs… et j’espérais !

Je voyais aussi des soldats allemands qui rétablissaient les chemins de fer, les ponts, les télégraphes, qu’on avait fait sauter à la suite de nos armées. Les pauvres employés français voyaient de loin leur place occupée. Ils avaient rempli leur devoir non sans péril, car beaucoup ont payé de leur vie le zèle avec lequel ils rétablissaient les communications coupées par les avant-gardes de l’armée prussienne.

Ils ont sauvé plusieurs convois chargés de blessés et beaucoup ont été fusillés ou emmenés en Allemagne[2].

  1. Les carrières de Jaumont. On racontait que vingt mille hommes avaient été précipités dans ces trous profonds. Bruits funestes, qui amenaient bientôt chez la population désillusionnée le découragement et l’irritation.
  2. En Prusse, les chemins de fer appartiennent au gouvernement et les employés sont assimilés aux soldats. Aussi, au commencement de la guerre, nos employés du chemin de fer, avec leur uniforme, furent-ils regardés comme faisant partie de l’armée.