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Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/20

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Enfin, à force de courage, je suis à une heure de Pont-à-Mousson, dont je vois la côte surmontée de ruines féodales. Près de la route, s’élève un mur, bordé de quelques noyers et de gazon épais.

C’est mon affaire, car il est temps de prendre un peu de repos. Le soleil est au-dessus de ma tête ; mon estomac me dit qu’il est midi, mais il faut jeûner jusqu’à la ville, où j’espère trouver quelques ressources.

Je dispose donc mon sac, et je m’en sers comme d’un oreiller pour reposer ma tête. Bientôt le sommeil me saisit. Je ne sais depuis combien de temps je me livrais au repos, quand ma tête, dans un brusque mouvement, frappa un corps dur. Je me lève aussitôt et jugez de ma surprise, en voyant que mon sac a disparu : en vain je regarde à droite, à gauche, rien, mon sac avait bien changé de maître.

Sur la route, fuyait rapidement vers Nancy une de ces voitures à deux roues, couvertes d’une longue toile grise et traînée par un mulet, comme on en a vu beaucoup, à la suite de l’armée prussienne.

Poussé par je ne sais quel pressentiment, je courus après cette charrette, et je vis mon sac précieusement installé sur les genoux d’une sorcière allemande.

Sans dire un mot, je saisis prestement mon bien et laissant aller la carriole, je repris ma route. Mais j’avais compté sans trois horribles Allemands qui, sortant de la voiture, s’élancèrent à ma poursuite.

Je me retournais pour me tenir en garde.

« Mein sac, mein sac, » cria l’un.

Cette prétention par trop hardie m’irrita tellement, que je ne réfléchis pas combien une lutte contre trois brigands bien armés serait inégale pour moi.

Je me crus capable de résister à un bataillon.

« Viens le chercher, ton sac, m’écriai-je.

— Mein sac, mein sac, » répéta le bandit.

Et il voulut me l’arracher. Mais je lui appliquai