Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

facilement à coucher dans les villages éloignés du passage des troupes.

— Si je pouvais t’offrir l’hospitalité, je le ferais de bon cœur ; mais je n’ai que cette chambre et toute la famille y couche : un matelas, une couverture, voilà ce que je puis te donner. »

Je ne voulus pas gêner le pauvre homme.

« Non, je suis décidé à faire le plus de chemin possible, car j’ai hâte de quitter le pays occupé pour revoir l’armée française. Je vous remercie, monsieur Bürger, me voici restauré : je vais me remettre en route. Nous nous reverrons plus tard, moins malheureux, j’espère. En tout cas, je ferai mon devoir et je me battrai bravement.

— Oui ! va te battre, mon brave garçon. Si j’avais encore ton âge, si ce n’étaient ces enfants, cette femme à protéger, je partirais avec toi ! Car, vois-tu, c’est trop de honte ! Qui aurait jamais cru que la France serait si malheureuse ! Et ici, nous sommes seuls, sans nouvelles, au milieu de barbares qui ravagent tout le pays, insultent à nos sentiments par leurs chants, leurs fêtes !… Pourquoi ne suis-je pas mort comme ton père, sans avoir vu tout cela !… À Nancy peut-on encore parler un peu de la France ? Est-on séparé du pays comme ici ?

— Je ne sais rien… du moins je n’ai entendu que des bruits vagues, peu certains. L’armée du Rhin, dit-on, recule sur Paris, l’Empereur est à Metz[1] : il y a eu de grandes batailles là-bas ! »

J’avais repris mon sac et je me préparais à partir. Le vieux musicien appela sa femme et ses enfants :

« Voilà, leur dit-il, le fils d’un de mes meilleurs

  1. On ignorait alors dans le pays déjà occupé, que l’Empereur avait quitté Gravelotte le 16 août, pour se rendre à Verdun. De là il partit pour Châlons, où il trouva le maréchal Mac-Mahon et le général Trochu.