Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/36

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Je crus que ces femmes allaient jeter les hauts cris, mais elles me dirent simplement :

« Voilà les Prussiens qui tirent, pour effrayer les gens cachés dans le bois : hâtons-nous, car ils resserrent leur cercle. »

Et elles frappaient la pauvre vache, pour la faire avancer à travers les broussailles et les épines. Je me mis de la partie, tantôt usant du bâton, tantôt m’attachant aux cornes de la bête.

Bon gré mal gré, nous arrivâmes dans une espèce de ravin sombre et profond, où j’aperçus à la lueur de quelques lanternes sourdes, un assemblage pittoresque de bœufs, de vaches, de chevaux, gardés par quelques paysans. Ils furent d’abord effrayés en me voyant, mais ils se rassurèrent bientôt, quand les femmes eurent parlé du service que j’avais rendu.

Cependant les coups de fusil continuèrent : on éteignit les lanternes, un silence profond régna dans notre camp. On entendait les voix lointaines des soldats qui se rapprochaient.

Il me semblait que j’étais transporté dans une caravane de chasseurs de bisons, écoutant et guettant, en silence, une troupe de sauvages.

Le cercle des Prussiens s’était tout à fait resserré : nous les entendions parfaitement près de nous. Rien ne remuait ; les bêtes, comme effrayées, écoutaient en tendant la tête et flairaient l’air.

Pendant plusieurs minutes, les Allemands lancèrent quelques mots de ralliement. Une voix plus forte commanda, un mouvement se fit : nous nous crûmes perdus. Mais les Prussiens, étonnés sans doute de ce calme, s’éloignèrent, et peu à peu les voix s’éteignirent dans la nuit et nous respirâmes.

Enfin on se hasarda à parler.

« Ils sont attrapés !

— Ils doivent être furieux ! Et c’est bien mérité :