Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/56

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Voici sa fille, ajouta la bonne vieille, en caressant la pauvre petite qui pleurait ; quant à sa femme, elle est là-bas, derrière l’église : elle n’a pu résister à son anxiété, chaque coup de canon qui retentissait était pour elle un coup mortel. »

Tous les trois se mirent à pleurer, et moi, je maudissais la guerre ! je pensais à ma pauvre mère, qui peut-être me croyait mort aussi, et qui peut-être aussi avait été brisée par la crainte et les émotions !

Je pensais à ma bonne Wilhelmine, qui avait tant rêvé mon doctorat pour nous voir mariés et tranquilles dans notre petite maison.


XI

Je restai jusqu’au lendemain chez ces braves paysans, qui voulaient me retenir encore. Mais me sentant tout à fait reposé, je leur dis que j’étais décidé à partir dès cinq heures du matin, pour arriver plus tôt à Daspich, qui se trouvait au moins à 9 ou 10 lieues, au nord.

Après avoir embrassé plusieurs fois la bonne grand’mère et la petite fille, je partis avec le vieillard, qui voulut me montrer la vraie direction, et me faire tourner le village[1], où des Prussiens étaient arrivés en grand nombre.

Il me conduisit à plus d’une lieue de loin, jusque sur les bords de la Nied. Après avoir traversé un pont, il m’arrêta.

« Maintenant je vais vous faire mes adieux, me dit-il ; vous n’avez plus qu’à marcher tout droit pour arriver à Sainte-Barbe, d’où vous apercevrez parfaitement votre pays. Vous voyez, au loin, percer à travers le brouillard, comme une masse énorme, ce

  1. Sanry-sur-Nied, au sud-est de Courcelles.